Lors de son assemblée générale, le Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes a fait appel à Jacques Caplat, Secrétaire général d’Agir pour l’environnement, Président d’IFOAM France, Administrateur de la marque Bio Cohérence, sur la thématique : « Les marchés bio : Comment sortir de la crise d'adolescence ? ».

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Sommaire

Les racines de la bio

Pour comprendre ce qu’est l’agriculture biologique, il est important de rappeler ses origines aux nouveaux acteurs qui ont rejoint le mouvement plus récemment (années 2010 et après) car la compréhension de l’histoire est le cœur de la crise du bio d’aujourd’hui.

On ne peut pas réduire le bio aux pesticides et l’opposer au Zéro Résidu de Pesticides (ZRP) ou à la Haute Valeur Environnementale (HVE).

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La bio, l’agriculture biologique, est une méthode agricole créée dans les années 1920 pour répondre à des enjeux environnementaux en privilégiant le travail du sol, l’autonomie et le respect des équilibres naturels. Cette pratique représente alors un basculement scientifique et un changement de paradigme avec l’agriculture archaïque. En effet, il s’agit de voir le vivant comme un partenaire avec qui travailler et non comme un adversaire qu’il faut maîtriser. L’Agriculture Biologique ne sera reconnue par les pouvoirs publics français qu’en 1981.     

A l’occasion de sa prise de parole, Jacques Caplat a démonté un préjugé que l’on entend fréquemment : Le local, c’est meilleur pour l’environnement.

NON. Contre toute attente, un produit local conventionnel n’est pas meilleur pour le climat qu’un produit bio importé. Pourquoi ? Car c’est la production agricole qui contribue le plus à l’empreinte carbone d’un produit, et pas son transport. Entre autres, le protoxyde d’azote, métabolite issue de la dégradation des pesticides de synthèse type engrais azoté, est la source principale de gaz à effet de serre (40%).

Evidemment, bio et local, c’est l’idéal !

On décrit souvent le fait que le bio est importé. Or, 70% des fruits et légumes bio sont cultivés en France. Et 15% du reste sont des fruits exotiques qui ne peuvent pas pousser en France métropolitaine (banane, café, cacao) et les 15% restants pourraient l’être en France. (Agence Bio)

Il ne faut pas non plus jeter la pierre à ces produits sans se poser quelques questions : comment sont-ils transportés ? Par bateau ? Alors, l’impact carbone est faible. On commence à voir des bateaux à voile qui réalisent les transports.

D’ailleurs, ces produits sont cultivés sous des grands arbres et des cultures y sont possibles en-dessous, donc cette production apporte un réel intérêt pour les populations locales.

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La biodiversité au coeur des engagements bio

Notons que la crise de la biodiversité est aussi grave que la crise climatique. La vitesse de réduction des populations des espèces n’a jamais été aussi rapide dans l’histoire de la planète. Parmi les causes ? la destruction des habitats par l’artificialisation.

C’est là qu’il est important de comprendre que l’agriculture biologique, c’est intégrer la biodiversité dans son exploitation par la présence de prairies, haies, bandes enherbées et des rotations de cultures plus diversifiées et plus longues, qui offrent des abris et des ressources alimentaires plus variées et continues.

Les pratiques de cultures en AB permettent d’avoir des sols mieux structurés, moins de fragilité à la sécheresse et une diversité des espèces et des variétés moins standardisées, notamment via l’utilisation des semences paysannes.

Comme tout modèle, « moins de gigantisme = moins de fragilité ».

Rappelons également que l’Agriculture biologique impose des conditions d’élevage respectueuses de l’animal.

Quelles différences avec le label HVE (« Haute Valeur Environnementale ») ?

« Haute valeur environnementale » : que cache ce label avec un joli papillon ? Protège-t-il vraiment les insectes ? Pourquoi fleurit-il dans les rayons de nos supermarchés, alors qu’en ce moment les ventes de bio s’effondrent ? Hugo Clément a remonté les filières et découvert des modes de production surréalistes, bien loin de l’image bucolique du logo.

« HVE » ou « bio » ? Hugo Clément révèle la guerre des labels dans « Sur le front »

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« HVE » contre « bio », la guerre des labels dans « Sur le front » - © Winter productions
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Source : Bio consom’acteurs

« Finalement, le HVE, c’est la promotion de mesures quasi toutes obligatoires par le règlement européen. »

Un produit biologique coûte beaucoup moins cher qu’un produit conventionnel et on l’ignore

La politique publique actuelle crée une distorsion de concurrence entre le bio et les autres pratiques agricoles. Le calcul des coûts agricoles est tronqué et ne reflète pas le vrai coût de l’agriculture, conventionnelle ou bio.

En effet, dans son rapport de septembre 2021, le commissariat général au développement durable estime le coût annuel du traitement des flux annuels d’azote et de pesticides entre 540 et 970 M€ par an, tandis que la dépollution de toutes les eaux souterraines aurait un coût dix fois supérieur. Cet azote vient bien des engrais azotés de l’agriculture conventionnelle.

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Ainsi, le consommateur paie, sans en avoir conscience, dans sa facture d’eau le coût de dépollution des eaux contaminées par les produits phytosanitaires et nitrates d’origine agricole.

Les conséquences pour la santé de la consommation de produits avec des pesticides ont également des coûts pris en charge par la sécurité sociale, et donc par le contribuable.

L’étude BioNutriNet, mobilisant une cohorte de plus de 50 000 Français, et menée par plusieurs équipes de recherche, fait observer une probabilité plus faible de présenter le syndrome métabolique chez les individus dont la part de bio est élevée. Le traitement statistique prend en compte des facteurs de confusion. Ainsi, les biais comme « les consommateurs bio sont plus sportifs, fument moins, etc. » sont gommés et permettent de conclure que les résultats sont bien liés à la consommation de produits bio et non au mode de vie qui y est associé.

Finalement, les produits bio sont vendus plus chers pour des raisons de coûts de la certification et de rendements 18% plus faibles (estimation de l’Inrae) mais aussi pour compenser les choix politiques faits sur la santé.

Ce point fait écho au scandale du début de mois d’avril 2023 sur le métabolite du chlorothalonil, dérivé du benzène, pesticide interdit depuis 2019, que l’ANSES a retrouvé dans 1/3 des échantillons prélevés dans l’eau de nos réseaux d’eau potable avec un dépassement de la limite de qualité. Comme d’autres pesticides, celui-ci est classé « cancérogène 2 », soit un danger certain pour l’animal et inconnu pour l’Homme, faute d’études existantes.

Le bio et les cours financiers mondiaux

Concernant le prix, on constate que le marché du bio est moins soumis à des cours financiers et à la spéculation. Actuellement, la guerre en Ukraine a un réel impact sur le coût des engrais conventionnels, qui ne devrait pas réduire. Ainsi, la réduction de l'écart de prix entre bio et conventionnel que l’on observe dans les magasins devrait se poursuivre.

Et le label ZRP dans tout ça ?

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Cela permet d’aborder un autre concurrent du label AB, le label « Zéro Résidu de Pesticides », qui a le mérite d’avoir un message clair … mais trompeur.

Oui, il n’y a pas de résidus de pesticides dans l’aliment final, c’est une bonne chose. Néanmoins, il ne garantit pas l’interdiction de pesticides de synthèse de la production de l’aliment, il y a donc pollution des sols. Or, nous venons de constater la rémanence (la durée dans le temps) des pesticides dans les sols. Donc le pesticide ZRP n’est pas dans l’aliment que l’on mange mais dans l’eau que l’on boit !

En bio, c’est : « pas de pesticides de synthèse du champ à l'assiette ».

« Le bio utilise aussi des pesticides » > OUI, le règlement européen pour l’agriculture biologique autorise l’utilisation de pesticides naturels uniquement. Il s’agit de pesticides très ciblés (qui ne détruisent pas la biomasse de façon aléatoire) et peu rémanents dans les sols (quelques heures, jours vs semaines, mois ou années pour les pesticides de synthèse).

Le cuivre : le talon d'Achille du bio ?

« Et le cuivre dans tout ça ?! ». En effet, le cuivre est un métal lourd, c’est le seul pesticide naturel qui présente une rémanence dans les sols et qui est autorisé en AB. Autorisé ne veut pas dire utilisé, on constate en effet que 85% des surfaces bio n'utilisent pas du tout de pesticides. Aussi, en AB, la quantité de cuivre autorisé est limitée.

Rappelons également que le cuivre et le soufre sont utilisés comme pesticides en agriculture conventionnelle, sans limite jusqu’à récemment.

Quels outils pour valoriser l'impact environnemental du bio ?

Plusieurs outils sont en cours d’évaluation pour permettre d’informer le consommateur de l’impact environnemental par la Commission européenne. Les deux plus connus : l’EcoScore et le PlanetScore.

L’EcoScore semble être la solution que L’Europe va adopter. Son inconvénient majeur pour la filière bio ? Elle se base sur l’analyse du cycle de vie. Or, cette méthode n’est pas adaptée à l’agriculture car elle mesure pour une même unité (ex : 1kg de carottes produites), les ressources nécessaires à son obtention. Etant donné que l’AB présente en moyenne un rendement plus faible, les ressources nécessaires pour produire cette unité va être plus importante que pour un produit conventionnel.  Or, cette méthode compare 2 produits qualitativement différents.

Néanmoins, il semble que l’EcoScore sera le grand gagnant européen. De son côté, l’ITAB se structure pour développer le PlanetScore comme label indépendant.

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A noter : dans un contexte économique peu favorable au bio, il ne faut pas subir le marché mais œuvrer à changer le marché pour permettre l’avenir, car « la bio est vitale pour l’Humanité » assure Jacques Caplat.

L'agriculture Bio, un investissement nécessaire et bénéfique

En juin 2022, la cour des comptes a rendu son rapport sur l’utilisation de l’argent public dans le bio. Non seulement l’argent est bien utilisé, mais la cour des comptes questionne sur le manque de moyens financiers apportés à l’agriculture biologique :

  • Pourquoi enlever les aides à l’installation et au maintien en agriculture biologique ?

  • Pourquoi les contributions aux interprofessions ne financent pas plus l’ITAB et les structures de recherche pour augmenter les connaissances et les expérimentations sur le bio ?

  • Pour les comptes publics, le calcul est vite fait : il faut financer davantage l’agriculture bio pour faire des économies sur la dépollution des sols et les dépenses de santé.

« Le constat est là : sans soutien politique, il faut aller convaincre les consommateurs comme il y a quelques années, quand le bio était largement stéréotypé. »

Quel regard porter sur les fermes verticales, l'aquaponie et ces nouvelles pratiques ?

Jacques Caplat : « Elles peuvent être intéressantes à petite échelle mais les plantes ont besoin de racines pour puiser toute la diversité des nutriments de la terre et ainsi pousser correctement. »

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Quelle devrait être l'évolution du bio ?

Jacques Caplat : « Face à la concurrence, il ne faut pas essayer de baisser en exigence. De toute façon, la place est déjà prise par les labels cités précédemment. Il faut donc aller plus loin, notamment augmenter l’aspect social du bio (pas intégré dans le règlement européen), imposer la saisonnalité, utiliser des serres passives et arrêter le « bio intensif » ou « Agriculture conventionnelle sans chimie » comme l’appelle Jacques Caplat.