La viande bio à un tournant : face à la chute des ventes, comment relancer la filière ?
Des fortes baisses de volumes, mais des signes encourageants
Entre 2022 et 2025, les ventes de viande bio en volume ont chuté de 35 %, une baisse qui impacte fortement la filière. Le différentiel de prix avec le conventionnel, amplifié par la hausse des coûts de la matière première, reste le frein majeur à l’acte d’achat. Il faut néanmoins noter que le prix de la viande conventionnelle est lui-même en hausse (ce qui réduit l’intérêt économique de la valorisation bio pour les éleveurs).
En Auvergne-Rhône-Alpes, après des années successives de fortes baisses, les ventes en volume ont néanmoins progressé de +5,2 % au troisième trimestre 2025 par rapport à 2024, contre +1 % à l’échelle nationale. Des signaux encourageants. Globalement, c’est le steak haché bio qui reste le principal moteur des ventes avec des performances notables en Grande et Moyenne Surface (GMS). Pour les acteurs de la filière, l’enjeu est clair : travailler l’offre en GMS et en Restauration Hors Domicile (RHF) pour augmenter la part de bio consommée, tout en maintenant une différenciation forte sur la qualité et l’éthique.
Pour relancer la dynamique en magasin bio, la situation reste complexe : l’offre y est souvent limitée, et les clients, bien que sensibles à une origine locale et directe, ne sont pas de gros consommateurs de viande. Pourtant, certains rayons traditionnels (boucheries, espaces dédiés) parviennent à stimuler les ventes, selon l’implantation et la stratégie commerciale du point de vente.
Production : un cheptel stable, mais des conversions en panne
En 2024, le cheptel de vaches allaitantes biologiques a légèrement reculé de 0,9 % par rapport à 2023, un chiffre globalement stable, mais qui masque un essoufflement préoccupant des conversions et des installations. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. D’abord, les cours historiquement hauts des bovins maigres, qui incitent les éleveurs à réduire l’engraissement des mâles pour maximiser leurs revenus à court terme. Ensuite, les mauvaises récoltes céréalières, qui fragilisent l’autonomie alimentaire des exploitations et alourdissent les coûts de production. Enfin, le manque de visibilité économique, dans un contexte marqué par la volatilité des prix et les aléas climatiques (sécheresse, canicules), décourage les nouveaux entrants.
Dans ce contexte, la question de l’équilibre matière devient cruciale. Aujourd’hui, la demande se concentre sur le steak haché, mais valoriser les bêtes uniquement sur ce débouché ne permet pas une stabilité économique pour les exploitations.
Il est donc essentiel de diversifier les circuits de commercialisation (boucherie, charcuterie, plats préparés) et de mieux anticiper les volumes pour équilibrer la carcasse. Cela suppose une collaboration renforcée entre éleveurs, abatteurs et transformateurs, afin d’optimiser la valorisation de chaque morceau et de sécuriser les revenus des producteurs.
Consommation : entre flexitarisme et attentes écologiques
La viande reste un pilier de l’alimentation française : 30 % des Français déclarent en consommer tous les jours, selon une enquête Talan/Harris Interactive menée en février 2025. Pourtant, 53 % des consommateurs affirment en manger moins qu’il y a trois ans, une tendance liée à l’essor du flexitarisme, qui concerne désormais 19 % des Français.
Dans ce paysage en évolution, la viande bio doit trouver sa place en répondant à deux attentes majeures : l’écologie et la transparence.
Les critères environnementaux pèsent de plus en plus dans les choix d’achat : 46 % des Français citent au moins un critère écologique parmi leurs priorités lors de l’achat de viande. On sait en effet que l’élevage a un impact carbone non négligeable, mais on sait aussi que l’élevage est nécessaire pour apporter la matière organique aux cultures et entretenir les paysages. Pour la filière bio, c’est une opportunité à saisir. Il s’agit de mettre en avant les atouts du cahier des charges bio : bien-être animal, alimentation 100 % bio, accès au pâturage, et contribution à l’entretien des paysages et à la fertilité des sols. Autant d’arguments qui résonnent avec les bio-convaincus, mais aussi avec les bio-réceptifs, une cible stratégique à conquérir.
Le prix reste un frein majeur, la filière doit donc travailler sur des formats économiques et communiquer sur la valeur ajoutée du bio (qualité nutritionnelle, environnement…). L’enjeu est de rassurer les consommateurs actuels tout en attirer de nouveaux adeptes, en insistant sur le nourrissage à l’herbe, bien plus marqué en bio qu’en conventionnel.
Le bio face au défi de l’innovation : entre circuits courts et plats préparés
Alors que le conventionnel mise sur des produits pratiques (viandes prêtes à cuisiner, mélanges viande-légumineuses), le bio reste timide en matière d’innovation. Pourtant, les attentes des consommateurs évoluent : ils recherchent des solutions simples, rapides et saines. Plusieurs tendances et innovations peuvent être observées :
- La reconnaissance de l’éleveur, avec la bonne rémunération comme la gamme équitable de Biocoop
- Les plats préparés : une opportunité pour capter les consommateurs pressés, à condition de garantir une origine française et une transparence totale sur les ingrédients.
- Les circuits courts et locaux : les consommateurs bio recherchent une offre locale directe, mais celle-ci reste souvent limitée.
- Les mélanges viande-légumineuses : des initiatives comme celle de Charal (steak haché + lentilles corail)
Panorama des tendances sur la filière viande bovine
Restauration collective : un levier stratégique qui doit encore lever ses freins
La loi EGalim impose aux cantines scolaires d’atteindre 20 % de produits bio en valeur d’achat, mais beaucoup d’établissements peinent à respecter cet objectif. La Restauration Hors foyer (RHF) est un débouché important pour la filière viande car il peut permettre de valoriser toutes les pièces d’une carcasse et garantir un équilibre matière.
Lors d’une rencontre des acteurs de la filière viande bio en Auvergne-Rhône-Alpes en novembre 2025, plusieurs pistes ont été identifiées pour renforcer l’intégration de la viande bio :
- Avoir plus de souplesse sur les prix exigés dans les marchés publics, car le coût des viandes bio fluctue.
- Les appels d’offres sont souvent trop précis sur les exigences techniques caduques, ce qui freine l’approvisionnement local (ex : critères de conformation, exigences sur la fraîcheur alors que la surgélation peut être un levier…)
- Former d’avantage les cuisiniers et des rédacteurs de marchés publics
💡Une idée forte émerge : construire des filières 100 % dédiées à la RHF, en mutualisant les besoins de plusieurs établissements (écoles, Ehpad, restaurants d’entreprise). Cela permettrait de sécuriser les débouchés pour les éleveurs et de stabiliser l’approvisionnement pour les cuisines collectives en répartition l’équilibre matière.
L’élevage bio, importante pour la fertilité des sols, doit mieux valoriser ses atouts environnementaux et nutritionnels pour conforter les consommateurs bio dans leur acte d’achat. Pour y parvenir, il faut renforcer l’offre locale en magasins bio, poursuivre la promotion et l’innovation en GMS et développer la RHD en adaptant les appels d’offres et en formant les cuisiniers. Avec des acteurs engagés en région, la filière a toutes les cartes en main pour se structurer et répondre aux défis climatiques et alimentaires.
Sources :
CIRCANA, T3 2025.
Enquête Talan/Harris Interactive pour le Réseau Action Climat, février 2025 (échantillon représentatif de 1 102 personnes).
Données Interbev, Agence Bio, 2024-2025