Interview de Serge Zaka : « Les entreprises agroalimentaires doivent réinventer leur rôle face aux défis climatiques »

Serge Zaka, agronome et docteur en agroclimatologie, est un expert reconnu de l’impact du changement climatique sur l’agriculture. Il nous livre ses analyses sur les défis qui attendent le secteur agroalimentaire bio.

Quels sont les changements majeurs auxquels doivent se préparer les entreprises agroalimentaires ?

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L’économie agroalimentaire repose avant tout sur la vitalité de l’agriculture. Si cette base s’essouffle, c’est tout le système qui devient instable. On ne peut plus se contenter d’acheter des matières premières au prix le plus bas en espérant des rendements records comme dans le passé. Les aléas climatiques, la dégradation des sols et la variabilité croissante des productions rendent ce modèle caduc. Il faut aller vers une stabilité de la production à un niveau moyen pour prendre en compte aussi les aléas climatiques. Si une production a trop de variabilité, c’est qu’elle n’est plus adaptée au climat. Les espèces ont différents niveaux d’adaptation. Le coût de l'adaptation est un investissement : soit on investit sur du long terme (haies, sol, eau…), soit il faut changer de culture. L’irrigation ne pourra pas exemple pas être la seule voie d’adaptation. L'adaptation peut aussi être la création de nouvelles filières, et les entreprises agroalimentaires auront un grand rôle à jouer. C’est une transition progressive. Arracher tout dès maintenant serait une erreur.

Concrètement, à quoi peut-on s’attendre sur Auvergne-Rhône-Alpes ?

En Auvergne-Rhône-Alpes, on retrouvera des caractéristiques méditerranéennes. On va aller vers des fruits et légumes méditerranéens, comme l’olive, de nouvelles variétés d’abricots, le kaki, le figuier, le concombre d’Arménie, le melon d’Espagne, la pistache ou les agrumes. On reprendra progressivement le flambeau espagnol.Il y a cependant de vrais enjeux sur l’eau et les sols : il va falloir retenir l’eau dans les sols, favoriser l’infiltration, et prévoir de petites retenus collinaires. En réalité, il s’agit de maîtriser les microclimats : écoulements de l’eau et ombrages à travers les haies, les couverts végétaux, la qualité du sol, …

Les transformateurs et la restauration collective devront intégrer ces nouvelles cultures dans les recettes et menus, et éduquer les palais des consommateurs. Les nouvelles générations seront déterminantes : c’est en les habituant à de nouveaux goûts dès le plus jeune âge qu’on créera une demande durable.

Quels rôles doivent jouer les entreprises agroalimentaires faces à ces évolutions ?

Les entreprises ont un rôle crucial et doivent devenir des partenaires des agriculteurs. Elles doivent définir des prix qui récompensent les efforts des agriculteurs pour leur adaptation et capacité de résilience. Par exemple, prévoir une bonification dans la contractualisation si l’agriculteur met en place des pratiques résilientes, comme la gestion durable de l’eau ou la plantation de haies. Face aux aléas climatiques plus fréquent, il s’agira de construire des relations étroites avec ses producteurs et ses fournisseurs pour avancer ensemble et faire face à ces nouveaux enjeux. Mais leur rôle ne s’arrête pas là. Les entreprises doivent aussi participer à créer de nouvelles filières pour trouver les débouchés aux nouvelles productions : investir dans la recherche et le développement, éduquer les consommateurs, mettre en place des tests avec des agriculteurs et s’engager à acheter même en cas de perte de productivité.

C’est évident, la transition a un coût ; c’est aussi au rôle de l’Etat et des collectivités d’accompagner financièrement les agriculteurs. Chacun a son rôle à jouer. La transition doit être collective.

Propos recueillis par Bastien Boissonnier lors de la Journée Climat des entreprises bio (13.11.2025)

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